Au coeur de l’Atlantique #6

Elle enfourcha un vélo dont la selle n’était pas ajustée à sa taille. Malgré ce détail inconfortable, elle se lança dans l’aventure, ses pieds touchant à peine le sol. Carmen, son amie de toujours, peu à l’aise avec ce moyen de transport à la mode, opta pour une version électrique. Les deux jeunes femmes prirent leur envol au cœur de l’île du golfe de Gascogne, renommée pour ses paysages époustouflants et sa promenade de 38 km jalonnée de points de vue remarquables et de curiosités à découvrir, telles que le Grand Phare ou encore le Vieux Château. Le temps était de leur côté : un soleil radieux et une température douce, conditions idéales pour pédaler et se laisser porter par la beauté de la nature et la rudesse des sentiers. Des côtes ici, des bosses là, des chemins difficilement praticables. Sandra, sur son vélo classique, dut plusieurs fois essuyer la sueur qui ruisselait le long de son visage.

Lorsque l’heure du déjeuner sonna, elles s’arrêtèrent près d’une crique, une enclave révélant une plage de sable fin, entourée de rochers battus par des vagues tempétueuses. Un lieu déserté par l’homme, un soupçon de paradis. Elles descendirent en rappel pour atteindre la plage des Sables Rouis, interdite à la baignade. L’eau de mer s’insinuait entre les rochers, laissant le rivage parsemé de coquillages. Elles furent témoins du chaos sauvage de la côte, où la nature régnait en maître. Elles mangèrent en contemplant davantage les paysages qui les entouraient que leur repas. Elles restèrent là, silencieuses, les pieds enfoncés dans le sable chaud, plongées dans leurs pensées.

— J’aimerais tant que le temps s’arrête, murmura Sandra.

— …et capturer chaque détail de cet instant d’éternité, ajouta Carmen.

Elles s’allongèrent, laissant libre cours à leurs rêveries, caressées par le vent imprégné d’odeurs marines. L’éternité s’était emparée de tous leurs sens. Quand Sandra sursauta au cri d’un goéland qui passait tout près, elle jeta un œil à son téléphone : 15 h 30.

— Mince ! On va être en retard ! On doit rendre les vélos avant 16 heures pour attraper le bateau.

Carmen, encore engourdie par la torpeur, se redressa précipitamment. Elles se hâtèrent de regagner le sentier, pédalant si vite que le bruit de leur souffle se substituait à leurs paroles. Elles arrivèrent à temps à la société de location, puis embarquèrent quelques minutes plus tard à bord du ferry de la compagnie Vendéenne. Une heure de traversée, une heure pour se remémorer ce moment suspendu dans le temps qui les avait totalement déconnectées de la société, de ce monde capitaliste dans lequel elles évoluaient quotidiennement.

— C’est dommage, on n’a pas pu terminer notre tour, bougonna Carmen.

— Peut-être, mais ce que nous avons ressenti dans cette crique valait bien plusieurs heures. La tranquillité, la sérénité, c’est cela la véritable richesse.

— Tu as raison. Rien n’a plus de valeur que cela.

L’île s’éloignait, ou peut-être étaient-elles celles qui prenaient leur distance avec ce qu’elles considéraient désormais comme un trésor, à la fois universel et singulier.