À reculons #1

La pluie ne cesse de tomber. Difficile de dire depuis combien de temps, mais cela me semble paraître une éternité. Je fixe les passants par la fenêtre, qui courent, un parapluie à la main ou un sac plastique au-dessus de leur tête. J’aperçois une femme d’un certain âge, vêtue d’un kawet trop grand pour elle dont la capuche lui recouvre le visage. Elle avance avec précaution et dignité sur la chaussée flottante. Je dois y aller maintenant. J’ai peur. J’ai peur de franchir le seuil de cette porte. J’ai peur de ne plus pouvoir faire marche arrière, de ne pas en avoir le courage.

J’inspire un grand coup, puis expire lentement. Je me hâte vers la porte, agrippe la poignée de crainte qu’elle ne glisse sous ma main. J’y suis, sans y être encore. Mes pieds sont piégés dans l’entre-deux. J’avance enfin, descends les escaliers, me déplace d’un pas assuré. Mon esprit est embué, assommé de questionnements rhétoriques. Je m’arrête face à un passage piéton, mécaniquement, bien que le signal soit au vert, m’autorisant à poursuivre ma marche robotique. Le clignotement d’une enseigne de pharmacie interpelle mes yeux ternes. Je le fixe un moment, comme une manière d’échapper aux pensées anxiogènes qui m’habitent. La nuit s’annonce avec discrétion. Le ciel continue de pleurer et lance par intermittence des grondements diffus. J’approche de ma destination. 

Quinze minutes se sont écoulées. Je ne suis pas prête, pas encore. Mon cœur s’emballe, mes lèvres tremblent. J’ai froid, mes vêtements sont imbibés d’eau. Je sens alors une vibration dans ma poche gauche. Je m’arrête en plein milieu d’un carrefour, inconsciente du danger, faisant abstraction des bruits de klaxons et d’insultes qui fusent autour de moi.

Un message. Un soulagement.

« Lulu, ça y’est. C’est fini. Elle est partie. »